Le Pays Roi Morvan : territoire de bois et de bocage

Impossible de traverser le cœur du Morbihan sans sentir la présence enveloppante des forêts. Que l’on circule entre Gourin, Priziac ou Saint-Tugdual, ce sont toujours des frondaisons, talus et bosquets qui font office de toile de fond. D’après l’IGN, près du tiers du Pays Roi Morvan est recouvert de forêts ou de surfaces boisées (Diagnostic Territorial Roi Morvan Communauté, 2020). Par comparaison, la moyenne bretonne plafonne à 15-17%. Ce contraste est flagrant pour qui arrive des côtes ou du Finistère voisin, longtemps marqués par l’openfield et les pâtures.

La configuration forestière locale n’a rien d’un hasard : elle s’enracine dans les sols granitiques et acides, dans l’histoire agraire, mais aussi dans l’élan perpétuel des haies bocagères typiques du centre Bretagne. Le « pays entre forêts » n’est pas seulement un décor, il est un patrimoine vivant.

Une mosaïque forestière : diversité et spécificités du couvert

Le Pays Roi Morvan offre une diversité d’essences remarquable. Ici, pas de grande monoculture de résineux ou de chênaies uniformes. On trouve :

  • Landes boisées et taillis de châtaigniers : Héritières du Moyen Âge, souvent issues du recépage, leur gestion traditionnelle se lit dans les formes biscornues des troncs.
  • Chênaies pédonculées et chênaies-charmais : Habitat de la chouette hulotte ou de la martre, elles sont présentes sur les versants les mieux exposés.
  • Hêtraies montagnardes : Rares en Bretagne, elles culminent sur les crêtes du Mené-Hellouin, là où l’altitude dépasse 300 mètres.
  • Pinèdes de reboisement : Issues des plantations des années 1960, elles abritent aujourd’hui une biodiversité pionnière.
  • Bois humides, aulnaies marécageuses : Autour des ruisseaux du Scorff et de l’Ellé, leurs sols spongieux bruisent de vie.

Cet éventail de milieux forestiers compose un « archipel du sauvage » au sein des prairies et des champs. À l’échelle du paysage, les forêts du Roi Morvan forment une cohabitation harmonieuse entre exploitation modérée (bois de chauffage, petits sciages), espaces de chasse, et sanctuaires de biodiversité.

Identité paysagère : la forêt comme fil rouge culturel

Outre l’aspect écologique et esthétique, la forêt donne sa tonalité à l’identité du territoire :

  • Panorama et perceptions : Sur une carte, on identifie le Roi Morvan par ses manteaux verts et ses limites dessinées par le bocage. Mais sur le terrain, la forêt façonne les vues, guide la lumière, modèle le climat local (effet d’ombre, de fraîcheur, de brume matinale).
  • Imaginaire collectif : Ici, les bois sont lieux de contes – korrigans du Chaos de l’Enfer du Faouët, sorcières près de Locmalo, fontaines magiques dans la forêt de Coatlochat. L’arbre, tel le chêne de Guernangoué (près de Plouray), est objet de légende et de rituels discrets.
  • Patrimoine oral et toponymie : Les noms de villages (“Le Bois-du-Verdier”, “Kerfouler”, “Pont-Forêt”) rappellent la prééminence du couvert arboré depuis des siècles.

Selon l’inventaire du patrimoine forestier breton (Forêt Privée Française, 2022), une majorité des habitants estime que la forêt représente une « part essentielle » du caractère du territoire, devant l’élevage ou les mégalithes. La forêt ancre et relie.

Un rôle écologique irremplaçable

Impossible de dissocier identité paysagère et rôle écologique. Les forêts du Roi Morvan :

  • Servent de corridors de biodiversité : elles forment des liaisons précieuses entre les sites Natura 2000 (vallée du Scorff, landes du Pélem).
  • Abritent des espèces menacées : la grenouille agile, le Pic noir, la salamandre tachetée, répertoriés par le l’Observatoire de la Biodiversité de Bretagne.
  • Régulent l’eau : rôle crucial pour les sources, fontaines et zones humides. La forêt ralentit l’érosion et l’écoulement en période de pluies intenses, un service rendu de plus en plus précieux avec les aléas climatiques.
  • Stockent du carbone : sur les 18 000 hectares boisés du Roi Morvan, le stockage estimé tourne autour de 1,8 million de tonnes équivalent CO2 (source : France Bois Forêt, 2023).

Ces chiffres ne sont pas que des abstractions : ils rappellent qu’au-delà du joli, la forêt est gardienne d’un équilibre fragile, sans cesse modelé par l’homme et les saisons.

Entre exploitation et préservation : une alchimie à renouveler

L’exploitation raisonnée a toujours fait partie de l’économie locale : bois de chauffe, piquets de clôture, charbonnage rural jusque dans les années 1950. Aujourd’hui, la filière bois du centre Bretagne reste modeste, avec seulement 30 emplois directs dans le secteur sur la communauté de communes (source : INSEE 2021). La majorité des forêts relèvent du régime privé, mais on assiste à une reprise en main de la gestion via des groupements forestiers citoyens (ex : GFA “Bois du Roi” à Plouray).

Parallèlement, les enjeux de préservation prennent de l’ampleur :

  • Risques de conversion vers des forêts de production rapide (douglas, cyprès), au détriment de la biodiversité naturelle
  • Prolifération du cynips du châtaignier et de la chalarose du frêne, deux fléaux sanitaires inquiétants (source : Observatoire National des Forêts, 2022)
  • Recours croissant à la sylviculture douce, inspirée de pratiques agroécologiques (étagement, rotation plus longue, introduction d’essences locales)
  • Défrichement lié à la construction ou à l’agrandissement des exploitations agricoles, encadré mais parfois controversé

Des plans de gestion collaborative voient le jour. C’est notamment le cas autour de la Réserve Naturelle Régionale de la forêt de Pont Calleck, où ONF, chasseurs, écoles et citoyens œuvrent main dans la main, organisant tour à tour ateliers pédagogiques, inventaires de lichens anciens et journées de nettoyage.

Un terreau d’initiatives locales… et de redécouverte

Le regain d’intérêt pour la forêt n’est pas qu’une affaire de spécialistes : associations de randonnée, petits festivals (« Les Nuits des Forêts »), marchés du bois et circuits pédagogiques se multiplient autour de Gourin, Berné ou Langonnet. La forêt redevient espace de convivialité :

  • Sentiers balisés comme le circuit de Kermoal ou la Forêt de Priziac, véritables salles de classe à ciel ouvert pour amoureux du vivant
  • Création de refuges à biodiversité, nichoirs, hôtels à insectes (initiative de “Bretagne Vivante” et scolaires locaux)
  • Emergence de guides bénévoles redonnant vie aux savoirs traditionnels : reconnaissance des plantes, lecture de traces animales, vannerie du châtaignier
  • Valorisation du “petit bois” dans l’auto-construction, la cueillette, les pratiques artistiques (land art, sculpture bois flotté)

Ces dynamiques, parfois discrètes, irriguent l’identité contemporaine du territoire. Elles montrent que la forêt ne se limite pas à un décor patrimonial, mais demeure un acteur quotidien de la vie sociale, économique et culturelle.

Perspectives : à l’écoute de la forêt qui vient

Le Pays Roi Morvan possède une richesse forestière à la fois ancienne et mouvante. À l’heure des transitions écologiques, énergétiques et agricoles, la forêt apparaît comme un véritable laboratoire du territoire : comment cohabiter durablement avec ce que la nature façonne patiemment depuis des siècles ? Comment transmettre la mémoire des gestes forestiers tout en préparant la forêt de demain, plus résiliente face au changement climatique ?

L’évolution de la politique forestière locale, la montée des circuits courts du bois, les programmes d’éducation à la nature, mais aussi la redécouverte du simple plaisir d’arpenter des allées ombreuses, renforcent la conviction que ces forêts ne sont pas près de cesser de façonner l’identité du centre Bretagne.

Dans les pas feutrés des promeneurs, à travers les feuillages tressés du Morbihan intérieur, chaque arbre, chaque futaie participe à la mémoire partagée, à la beauté et à l’énergie paisible du territoire.

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