Le sol, ce monde sous nos pieds qui façonne le pays

Derrière les lisières de hêtres, les talus couverts de fougères et les prairies vallonnées du centre Bretagne, il y a un acteur discret, fondamental mais souvent ignoré : le sol. Ici, dans le Pays du Roi Morvan, la terre n’est pas juste un support pour nos bottes ou nos cultures : elle conditionne tout, du relief aux rivières, des pâturages à la couleur des toits. Comprendre les grands types de sols, c’est lire les souvenirs géologiques du territoire, mais aussi saisir comment eux, jour après jour, dictent la vitalité des paysages ruraux (Source : Carte pédologique de France - BRGM).

Un héritage géologique multiple : les familles de sols du Roi Morvan

Situé au cœur du Massif armoricain, le pays roi morvanais hérite d’une longue histoire géologique. Le socle ancien, souvent visible à fleur de bocage, a donné naissance à trois grands types de sols, présents en proportion variable :

  • Les sols podzoliques acides : Issus de la décomposition de schistes et grès armoricains, peu profonds, légers, ils sont nombreux sur les hauteurs, autour de Gourin ou Le Faouët. Leur couleur sombre en surface trahit l’accumulation de matière organique non décomposée. Leur acidité explique la prédominance des landes bruyères, genêts et ajoncs (Atlas des paysages du Morbihan).
  • Les sols bruns lessivés (ou sols limoneux) : Ces sols, résultat du lessivage par les pluies bretonnes, sont plus profonds dans les fonds de vallée et sur les replats. Moins acides, plus fertiles, on les trouve près du Scorff, de l’Ellé ou sur les bords du Blavet. C’est là que se concentrent les prairies humides et les cultures plus exigeantes.
  • Les sols hydromorphes (ou tourbeux et gleyeux) : Rares, mais présents sur les fonds plats et dans les dépressions mal drainées, ces sols saturés en eau accueillent des tourbières (autour de Saint-Tugdual, par exemple) et végétations spécifiques (joncs, carex, sphaignes). Un vrai réservoir de biodiversité et un paysage à part entière.

On notera aussi la présence ponctuelle de poches de sols argileux (surtout sur certaines buttes issues d’anciennes altérites de granite ou de diorite) mais ils restent minoritaires.

Du sol au paysage : comment la terre façonne la mosaïque rurale

Le sol, dans ce coin de Bretagne intérieure, détermine étroitement les usages agricoles et par conséquent, la physionomie du paysage. Voici quelques exemples concrets des liens entre nature des sols et tableau géographique local :

  • La lande et le bocage sur sols acides : Les crêtes schisteuses et gréseuses – typiques près de Kerfourn ou Rostrenen – portent naturellement d’immenses landes autrefois pâturées par les ovins puis reconquises par la fougère aigle ou la bruyère. Ces espaces pauvres, difficilement cultivables, sont devenus une des images classiques du Morbihan intérieur.
  • La prairie et le maillage bocager sur sols plus profonds : Là où le limon lessivé s’est accumulé, les haies de chênes ou de hêtres entourent des prairies graminées, riches et humides. Ces zones, mieux adaptées aux cultures fourragères et à l’élevage laitier, forment l’ossature verte du paysage du Roi Morvan.
  • Les tourbières et marais locaux : Quelques rares sites (comme la tourbière de Lan Bern ou celle de Locuon) accueillent des sols tourbeux remarquables avec une végétation relicte. Leur conservation est un enjeu de biodiversité régionale.

L’impact sur l’agriculture : contraintes et adaptations rurales

L’histoire locale démontre que les dynamiques agricoles dépendent plus que tout des potentialités et limites imposées par les sols :

  • Sur les sols podzoliques, la mise en culture intensive se heurte à l’acidité et à la pauvreté des terres. Jadis, le système de jachère pâturée prédominait : la lande fournissait bruyère pour les litières, bois de chauffe ou pacage extensif, et la fertilisation reposait sur « l’herbe à lambig » (la bruyère brûlée pour enrichir les abers).
  • Les sols bruns sont plus propices à la culture (céréales, maïs fourrage, légumes) et à l’élevage intensif. Depuis les années 1960, ces zones ont bénéficié de la mécanisation, de l’apport de chaux pour dé-acidifier, renforçant le laitier bovin qui fait la caractéristique du terroir.
  • Sur les sols humides, l’usage traditionnel était le pacage du bétail en été, les cultures étant limitées par l’eau. Aujourd’hui, ces sites sont souvent protégés du fait de leur rareté écologique, mais ils ont longtemps contribué à la diversité alimentaire de la région.

Couleurs, formes et singularités : le sol, artiste du visuel local

La constitution du sol influe directement sur l’apparence du paysage :

  • Les landes acides laissent place à une dominante de jaune (ajoncs en fleurs au printemps), de violet (bruyères), et de brun (fougères sèches).
  • Les prairies limoneuses, plus grasses, s’étalent en nappes de vert profond, ponctuées par les haies d’arbres aux troncs souvent moussus.
  • Les marais et tourbières offrent leurs reflets d’eau sombre et de végétation rase, parfois presque infranchissable.
  • Les sites à sol argileux (rares, mais visibles près de Berné) génèrent parfois des « pochis » saisonniers, ces flaques durcies qui se crevassent en été, et des bordures where nothing but joncs pushes through.

Tout cela contribue à la variété visuelle du pays, accentuée par l’effet des pratiques humaines : certains talus sont couverts de murets en pierres sorties des champs, d’autres témoignent des enrésinements des années 1970 sur sol acide (source : Observatoire du paysage en Bretagne).

Sols et culture locale : des savoir-faire enracinés dans la terre

Le type de sol a longtemps dicté la vie quotidienne :

  • La fabrication traditionnelle des toitures en ardoises trouve ses origines dans l’exploitation de schistes locaux, extraits dans une terre peu profonde et acide : il suffit de voir les anciens ardoisiers du Faouët.
  • Les fours à pain ruraux étaient creusés dans la terre argileuse lorsque le terrain le permettait. Cette argile était aussi utilisée pour le torchis des murs et parfois la poterie locale.
  • Les anciens chemins creux, souvent bordés de haies imposantes, s’enfoncent dans des sols limoneux érodés, témoignant à la fois du ruissellement et de l’importance des liaisons bocagères.
  • Les landes étaient utilisées pour la cueillette de plantes médicinales (bruyère, myrtille, etc.), tandis que les zones tourbeuses servaient à la coupe de tourbe pour le chauffage (jusqu’au début du XX siècle, source : Paul Cornec, ethnologue local).

Fragilité et enjeux : préserver l’équilibre des sols

Le paysage actuel est le fruit de ce dialogue entre nature du sol et interventions humaines. Pourtant, cette harmonie est fragile : l’intensification agricole, le drainage excessif, la disparition des haies ou l’enrésinement peuvent dégrader les sols et appauvrir la biodiversité. Quelques chiffres :

  • Entre 1950 et 2018, le bocage breton a perdu près de 35% de ses haies, avec une accélération dans les zones à sols profonds où l’agriculture industrielle domine (Source : BRGM, IFREMER).
  • Les sols de landes ont subi une régression de surface de près de 80% en un siècle dans l’Ouest breton, la plupart convertis en prairies (« Landes et paysages en Bretagne », INRA).

Des initiatives locales voient aujourd’hui le jour pour restaurer ce patrimoine vivant : maintien de prairies naturelles (programme « Bocage et biodiversité » du Parc Naturel Régional d’Armorique), protections des tourbières et financements pour la plantation de haies.

Prolonger le dialogue entre sol, paysage et habitants

Connaître les grands types de sols du Pays du Roi Morvan, c’est mieux comprendre ce qui fait l’originalité de ses paysages et la richesse de ses usages. C’est aussi se donner des clés pour accompagner, à notre mesure, le maintien d’une identité rurale forte, inventive et respectueuse de son environnement.

Alors que les enjeux climatiques et agricoles s’imposent, ce fragile équilibre mérite d’être gardé à l’esprit. Les paysages du Roi Morvan ne s’inventent pas : ils se lisent dans la terre, et se réécrivent chaque jour, au fil des saisons et des pratiques. Pour aller plus loin, on peut consulter les travaux de l’INRAE sur la pédologie bretonne, l’Atlas des Paysages du Morbihan, ou encore participer aux balades botaniques organisées par les associations locales.

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