Une présence de pierre : origine des calvaires et croix en Bretagne intérieure

En Bretagne, la tradition des croix de pierre remonte bien avant le christianisme, parfois même jusqu’aux pierres dressées celtiques et menhirs christianisés (source : croixbretagne.fr). Dès l’époque médiévale, la croix chrétienne remplace ou s’ajoute à ces repères anciens. On estime à plus de 12 000 le nombre de croix et calvaires en Bretagne (source : Patrimoine de France), dont un grand nombre dans le Morbihan intérieur.

Le Pays Roi Morvan, avec ses reliefs boisés et ses axes de passage, s’est montré particulièrement fertile pour leur érection du XVe au XIXe siècle. Si beaucoup datent des XVI et XVII siècles, quelques-unes sont antérieures, reliques précieuses pour quiconque s’intéresse à l’ancienneté du sacré dans le pays.

Les plus anciens calvaires et croix du territoire : entre Moyen Age et Renaissance

  • La Croix de Saint-Adrien, à Berné (fin XIV siècle) :

    Considérée comme l’une des croix les plus anciennes du Morbihan, la croix de Saint-Adrien, à proximité de la chapelle éponyme, est datée par certains archéologues du XIV siècle (source : Conseil départemental du Morbihan, inventaire patrimoine). Son style fruste, sans base sculptée ni crucifix sophistiqué, évoque les origines mêmes du christianisme populaire breton. On y devine l’envie de marquer le paysage d’un signe protecteur, bien avant la mode des calvaires monumentaux.

  • La Croix des Trois-Plessis, Gourin (XVe siècle) :

    À l’entrée de Gourin, la croix des Trois-Plessis veille sur un carrefour. Elle a parfois été qualifiée de “croix de peste”, témoignage des épidémies et de la peur au Moyen Âge. Son fût massif, érodé par le temps, date vraisemblablement du XVe siècle. Les croix de ce type servaient aussi de bornes (source : “Croix et Calvaires du Morbihan”, Abgrall et Peyron, 1910).

  • Le calvaire Saint-Fiacre du Faouët (XVI siècle) :

    Adossé à la remarquable chapelle gothique, le calvaire Saint-Fiacre rassemble autour d’un crucifix de pierre plusieurs personnages du Nouveau Testament, dans un style caractéristique des ateliers de tailleurs bretons du XVI siècle. Il réunit en une seule scène la foi, l’art populaire et le désir des communautés villageoises d’édifier quelque chose qui leur survive.

  • Anciennes croix de Locuon, Ploërdut (fin XVe - début XVIe siècle) :

    Ce hameau, célèbre pour son sanctuaire aménagé dans une ancienne carrière gallo-romaine, conserve dans son enclos plusieurs croix. L’une d’elles, dite “croix du Jugement”, serait datée autour de 1500. Elle présente un rare Christ en croix et une Vierge en face opposée, taillées dans la même dalle de granit rose.

Styles architecturaux et singularités locales

Les croix du Pays Roi Morvan s’illustrent par la sobriété de leur granit, mais aussi par une diversité d’inspiration :

  • Fût rectangulaire ou octogonal, socle trapu, parfois réemploi d’anciens éléments mégalithiques ;
  • Chapiteaux sculptés de motifs naïfs : feuilles d’acanthe, figures animales (un rare lion sur la croix de Saint-Trémeur, Le Faouët), visages érodés ;
  • Crucifix simple ou scènes à plusieurs personnages (Saint-Fiacre), plus fréquentes à la Renaissance ;
  • Petits oratoires surmontés d'une croix, tradition du XVI dans quelques hameaux de Meslan et Ploërdut.

Le climat rude du centre Bretagne a marqué ces sculptures : beaucoup de détails ont disparu, rincés par la pluie, mais c’est aussi ce qui leur donne cette noblesse austère.

Usages, légendes et fonctions dans la vie rurale

Les croix locales ne sont pas seulement ornementales. Parmi leurs usages séculaires :

  • Bornage des chemins et limites de territoires : à l’origine, elles servaient souvent de repères, signalant un passage, une paroisse ou l’entrée d’un bourg ;
  • Protection et foi populaire : on les dressait contre la peste, la foudre, les tempêtes— certains calvaires étaient réputés “miraculeux” (croix des pestiférés de Plouray) ;
  • Lieu de rendez-vous et de processions : les pompes funèbres, pèlerinages ou encore “troménies” locales y faisaient halte ;
  • Mémoires de drames : sabots accrochés à une croix de Guiscriff rappellent une légende de repentir d’un sabotier du XVII siècle.

Quelques anecdotes et faits oubliés

  • La croix de Locmaria, Mellionnec : une inscription à peine lisible évoque “Pierre le Gall, 1542”. Un témoignage de l’affirmation d’une identité de paysan du roi, dans une zone alors très isolée (source : archives communales de Mellionnec).
  • Vieux rites autour des calvaires : jusqu’au début XX siècle, on venait y déposer un galet, un chapelet ou une mèche de cheveux pour espérer une guérison. Sur certaines croix, il subsiste des traces de creux : il s’agissait de “petits autels” improvisés.

Parcours recommandé à la découverte des croix anciennes

Voici quelques idées pour celles et ceux qui voudraient voir de leurs yeux ces témoins muets du passé :

  1. Départ de Berné : observation de la croix de Saint-Adrien, puis poursuite vers le hameau de Saint-Germain pour une croix du début du XVI.
  2. Sur la route de Gourin : halte à la croix des Trois-Plessis. Option : continuer vers Saint-Hernin, à la limite du Pays Roi Morvan, pour visualiser des croix de réemploi dans les murets de fermes.
  3. Détour par Le Faouët : visite du calvaire de Saint-Fiacre, puis tour de la ville pour les croix modestes du quartier de la Croix Blanche (ateliers Granit du Poher).
  4. Boucle à Ploërdut – Locuon : immersion dans l’enclos paroissial et exploration de la “croix du Jugement”.

Certaines communes proposent également des circuits balisés (“Sur les pas des croix anciennes”, Bro Gwened, 2022), disponibles en mairie ou en office de tourisme.

Préserver ce patrimoine : initiatives locales et restauration

Partout dans le Pays Roi Morvan, associations locales et municipalités s’activent pour restaurer et valoriser ce patrimoine (source : Le Télégramme, 2023). À Gourin, le “Comité de sauvegarde des croix” a restauré pas moins de 18 calvaires depuis 2012. À Le Faouët, la commune met en place des panneaux pédagogiques pour sensibiliser les jeunes générations.

  • Difficulté principale : retrouver les dessins d’origine et les outils adaptés au granit bleu de la région.
  • Financement : principalement assuré par des subventions départementales, la Fondation du Patrimoine, mais aussi des dons privés.
  • Valorisation : circuits touristiques, expositions de photos, ateliers pédagogiques en écoles.

Un patrimoine vivant, à transmettre et à (re)découvrir

Que l’on soit passionné d’art sacré, amateur de balades ou curieux d’histoire, explorer les calvaires et croix anciens du Roi Morvan, c’est partir sur la trace de gestes séculaires, voir s’incarner la foi, le deuil ou la joie d’un pays. Ces monuments n’appartiennent pas qu’à l’histoire : ils disent encore la force d’un territoire où l’humain et la pierre continuent de dialoguer. Pour les habitants comme pour ceux qui passent, voilà autant de raisons de lever la tête, d’aiguiser le regard et de s’émerveiller devant l’inventivité patiente de ceux qui, il y a des siècles, ont dressé ces sentinelles de granit.

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