Plonger dans le paysage : pourquoi l’architecture rurale raconte le pays

L’architecture rurale n’est jamais anodine, surtout au pays du Roi Morvan. Elle est tissée dans la matière même de la terre, née de la main de générations qui ont peu parlé mais beaucoup bâti, avec ce que leur offrait la lande, le bocage, la vallée. Reconnaître les marqueurs de cette architecture, c’est apprendre à voir, ouvrir l’œil autant que la mémoire.

Entre Morbihan, Finistère et Côtes d’Armor, quelque deux tiers des maisons anciennes encore debout ont été construites avant 1920 (source : Inventaire du patrimoine de Bretagne). Face à ces bâtis, chaque détail compte et murmure des récits de coexistence avec la nature, l’économie locale et les usages d’autrefois.

  • Matériaux extraits à proximité, ajustés sans excès
  • Formes pensées pour le climat et la terre
  • Détails fonctionnels marqués d’élégance discrète

Décortiquons tout ça : il s’agit moins d’un style « pittoresque » que d’une succession d'adaptations pragmatiques, auxquelles s’ajoutent des variantes étonnantes d’un vallon à l’autre.

La matière première : pierres, terre et ardoise

Impossible de comprendre l’architecture locale sans s’attarder sur la matière. Dans le Centre-Bretagne, ce sont les ressources du sous-sol qui ont façonné le bâti.

La pierre : schiste, granite, grès et galets

La pierre domine le paysage rural du pays Roi Morvan. On distingue principalement trois types :

  • Le schiste rouge et pourpre : omniprésent dans la région de Gourin, Berné, Le Faouët, il donne une teinte chaude aux murs. Utilisé en moellon, jamais taillé parfaitement, il donne aux façades un aspect vivant, presque « boutonné ».
  • Le granite : souvent réservé aux encadrements (portes, fenêtres), aux linteaux et aux chaînes d’angle, pour sa solidité. Par exemple, à Priziac, les maisons agricoles mêlent schiste pour la maçonnerie et granite pour les parties nobles, voire sculptées.
  • Le grès : plus localisé, parfois employé dans les village proches des affleurements, toujours dans une logique d’économie et de proximité (source : Archives Patrimoine Bretagne).

Il n’est pas rare d’apercevoir des insertions de galets ou de briques dans les reprises du XIX siècle, parfois issues du remploi de ruines.

La terre crue et le torchis

Si la pierre domine, les murs en terre crue et en torchis persistent surtout en lisière du Morbihan vers le Finistère. Moins visibles, souvent masqués par un enduit, ils témoignent d’un usage ancien quand la pierre manquait localement ou que l’humidité réclamait des murs qui « respirent ». On estime qu’en Bretagne, 10 à 15 % des anciennes fermes allient terre et pans de bois, notamment en Blavet et Ellé (source : bretagne.bzh).

L’ardoise, le chêne et le châtaignier

  • L’ardoise, omniprésente, provient à 90 % des carrières de Gourin ou Le Faouët jusqu’à la fermeture des mines en 1975. Bien avant, c’était parfois des plaques épaisses, posées à pureau décroissant, qui coiffaient les longères et granges.
  • Le bois couvrait charpente et ouvertures : chêne et châtaignier surtout, traités à la chaux ou laissés bruts « gras de travail ».

Des formes sobres et parlantes : longères, corps de ferme et dépendances

L’architecture rurale bretonne ne s’embarrasse pas d’apparat. Son élégance, c’est dans la simplicité et l’équilibre qu’on la lit.

  • La longère : bâtiment rectangulaire, aligné sous une toiture à deux pans parfois légèrement brisée. Toujours étroite (4 à 5 m de large), mais longue – pour pouvoir s’agrandir au fil du temps, par travées, selon les besoins et la famille.
  • Les corps de ferme en U ou en L : autour d’une cour à l’abri du vent. On trouve encore dans le secteur des fermes regroupant habitation, étable, écurie, grenier à foin, four et cellier. L’organisation renvoie à des siècles d’économie de subsistance et d’entraide.
  • Les dépendances incontournables :
    • Les fours à pain (souvent extérieurs, jamais accolés à la maison pour limiter le risque d’incendie)
    • Les puits et bassins rectangulaires, pierres de seuils usées par des générations de sabots
    • Les soues à cochon en mini-appentis, toujours orientées à l’abri de l’humidité dominante

Pour l’anecdote, la commune de Le Saint comptait en 1889 près de 450 fours à pain pour seulement 220 maisons (chiffre recoupé des registres municipaux) : la preuve d’une ruralité dense, autosuffisante, et jalouse de ses savoirs.

L’art de la toiture : formes, matériaux, astuces locales

Ici, la pluie n’a jamais cessé, alors le toit est roi – et il recèle plus de subtilités qu’il n’y paraît.

  • Toitures à forte pente (45° à 55°) : pour chasser la pluie, abriter un grenier sec (le « tenzor » pour la réserve de céréales ou de lin).
  • Aucune lucarne « à la française » : seulement de petits jours sous les ardoises (souvent une simple pierre inclinée), pour éviter les infiltrations.
  • Bordures en pierre ou faîtages de terre cuite : pour lester le toit face aux grands vents du plateau.

Plus rare, le chaume – en roseau ou seigle – a quasiment disparu, mais on trouve parfois des traces de panneautages anciens à Saint-Tugdual et Le Croisty. Plusieurs maisons du hameau de Pontigou ont été restaurées ainsi ces dernières années, dans une logique patrimoniale (source : Association Chaumières de Bretagne).

Fenêtres, portes et détails : le langage du quotidien

Les ouvertures dans les maisons sont aussi explicites que timides : elles disaient la peur du froid, l’économie du feu, mais n’étaient jamais privées d’inventivité.

Petites fenêtres, grands linteaux

  • Fenêtres carrées ou rectangulaires, basses et profondes : rarement plus de 40 cm de haut sur 60-80 cm de large, souvent deux par façade, et jamais orientées plein nord.
  • Linteaux en bois ou en granite massif : parfois datés, gravés ou marqués d’un symbole (croix, initiales du propriétaire, signe de protection comme la « marque du tailleur de pierre »).

Portes paysannes : ajustées & robustes

La porte d’entrée, souvent située à l’est ou au sud-est, pour accueillir la lumière du matin et limiter l’exposition aux vents d’ouest. Grand vantail unique ou double (esprit « porte de grange »), parfois doté d’une petite guillotine en haut pour laisser filer la chaleur.

Appuis, niches et traditions « secrètes »

  • Niches ou « kiédés » : petites cavités dans le mur, destinées à recevoir une statuette de saint, une bougie ou un objet protecteur.
  • Appuis de fenêtre en pente : pour que la pluie glisse bien loin du mur, souvent taillés à la serpe dans une lauze locale.
  • Tourniquets à volet intérieur : clous ou pièces de bois, système universel pour bloquer les volets de bois d’un geste simple.

Patrimoine en mouvement : rénovations et enjeux actuels

L’architecture rurale, ici, continue à évoluer. Plusieurs campagnes de recensement récentes (2021-2023, CAUE 56) montrent que 37 % des bâtis anciens du Morbihan intérieur sont aujourd’hui occupés à l’année, contre moins de 20 % il y a 25 ans. Les retours d’habitants, la valorisation des matériaux naturels, l’adoption du chauffage bois ou de l’isolation en chaux-chanvre s’incarnent dans des restaurations soucieuses de garder l’essence du territoire.

  • Sauvegarder les toitures anciennes : Près de 80 % des nouveaux propriétaires rénovent l’ardoise locale plutôt que la remplacer par des variants industrielles.
  • Valorisation des savoir-faire locaux : Des chantiers participatifs fleurissent à Langonnet, Plouray ou Roudouallec, autour de techniques traditionnelles comme le montage à pierre sèche ou le rejointoiement terre-chaux.
  • Respect de la typicité : De nombreux Plans locaux d’Urbanisme intègrent désormais des cahiers des charges stricts sur l’aspect des extensions, préservation des ouvertures traditionnelles et limitation du PVC pour privilégier la menuiserie bois.

Enfin, la dimension collective de ce patrimoine est essentielle : chaque pierre, chaque toit recèle un peu du secret d’une communauté qui a résisté, rêvé, bricolé son espace de vie. Reconnaitre l’architecture rurale n’est pas seulement affaire de repérage technique ; c’est lire la géographie humaine sous la roche et l’ardoise.

Pour aller plus loin : guides, balades, expériences partagées

  • Guides et ressources locales :
    • Le site inventaire-patrimoine.bzh propose des fiches détaillées sur les fermes, moulins, chapelles du Morbihan intérieur.
    • Le CAUE 56 délivre des fiches pratiques pour reconnaître et préserver les spécificités du bâti breton.
  • Balades thématiques : chaque année, les associations locales organisent des circuits de découverte. Citons par exemple les « Chemins du petit patrimoine » du Pays du Roi Morvan, permettant de lire in situ ces signatures architecturales.
  • Recueillir la mémoire orale : Les plus belles anecdotes sont encore chez les anciens. S’arrêter discuter, près d’un mur moussu, devant une petite fenêtre oblique, c’est récolter mille détails de la vie d’hier… et mieux repérer aujourd’hui ce qui fait la beauté unique de notre architecture rurale.

Chaque village, chaque hameau a ses variantes et ses clins d’œil à l’histoire. Mais partout, le patrimoine bâti reste un trésor modeste et obstiné, essentiel à qui veut comprendre le cœur du pays du Roi Morvan.

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