Qu’est-ce que le bocage ? Origines et définitions d’un mot du pays

Impossible d’arpenter le centre Bretagne sans être happé(e) par la mosaïque de talus, haies et chemins creux qui dessinent le paysage. C’est le vocabulaire habituel du bocage, mais ici plus qu’ailleurs, il fait partie de l’ADN du territoire.

Le mot bocage vient du vieux français « bosc », signifiant bois ou bosquet. Il désigne un paysage où les champs cultivés ou prairies sont enclavés, cernés de haies vives et de talus (les fameux talus bretons, ou en breton leon) – sortes de levées de terre surmontées d’arbres, d’arbustes et de ronciers. Ce réseau dense et labyrinthique se distingue du paysage « openfield » de grandes parcelles ouvertes, typique du Bassin parisien.

La généralisation du bocage breton s’est produite entre le Moyen Âge et le XIX siècle, avec un fort développement à la Révolution et au XIX notamment selon l’INRAE (source). Dans le Pays Roi Morvan, cette structuration du parcellaire a accompagné le développement de l’élevage bovin et porcin et la culture de céréales adaptées à de petites surfaces.

Un maillage historique : comment le bocage a sculpté le territoire

Au Pays Roi Morvan, les chiffres sont parlants : la densité du bocage (hors forêt dense) y est parmi les plus élevés de Bretagne, avec de 130 à plus de 200 mètres de haies linéaires par hectare localement selon le programme Breizh Bocage (bretagne-environnement.fr).

Ce maillage n’est pas qu’un patrimoine paysager : il structure en profondeur la vie rurale. Les talus servaient historiquement :

  • À délimiter les possessions et à protéger les cultures du bétail errant.
  • À faire obstacle au vent et limiter l’érosion dans un pays au climat parfois rude.
  • À stocker les excédents de terre issus du creusement des chemins et des fossés d’assainissement.
  • À offrir bois de chauffage, fourrage et abri pour le bétail et la faune.

Depuis le Moyen Âge, le bocage façonne ici un village moins éclaté que dans d’autres campagnes : on y voit se resserrer les hameaux, les maisons blotties contre les talus, d’innombrables chemins secrets reliant les écarts.

Des paysages vivants : couleurs, sons et lumières du bocage en Roi Morvan

Que ressent-on quand on traverse le bocage du Pays Roi Morvan ? C’est une expérience sensorielle, presque immersive.

  • Au printemps, la lumière filtre en taches dorées à travers le feuillage tendre : le vert tendre du frêne, l’aubépine en fleur, les violets du prunellier. Les oiseaux profitent des haies : plus de 60 espèces recensées rien que sur 10 km de bocage selon les inventaires de l’Office Français de la Biodiversité (OFB, 2020).
  • L’été, les ruisseaux minuscules, souvent cachés sous les ronces, rythment l’espace. L’ombre des arbres rend les traversées à pied douces même aux heures chaudes. Pour la faune, le bocage devient un corridor protecteur au cœur du Morbihan intérieur.
  • L’automne colore le bocage de roux et d’or, les noisettier, charmes et châtaigniers révélant toute leur palette. Dans les villages, chaque talus a ses champignons ; sur les routes, la senteur des feuilles humides fait partie du patrimoine olfactif.
  • L’hiver, les lignes nues du bocage sculptent un paysage de dentelles, révélant l’architecture profonde des champs, des hameaux et des chemins creux.

Photographes, peintres et promeneurs ne s’y trompent pas : ce n’est pas un décor statique, mais un vivant patchwork en perpétuelle évolution.

Un trésor de biodiversité

Le bocage du Pays Roi Morvan, c’est un condensé de biodiversité rare en Europe occidentale. Les chiffres et constats sont impressionnants :

  • Près de 40 % des espèces d’oiseaux nicheurs de Bretagne fréquentent le bocage (données LPO, 2021). On y rencontre rougequeue à front blanc, fauvette, loriot, mais aussi la chouette hulotte très présente sur les vieux talus.
  • Chauves-souris, amphibiens, reptiles profitent des corridors naturels formés par les haies et fossés. Selon le réseau Mammifères de Bretagne, jusqu’à 9 espèces de chauves-souris cohabitent sous les mêmes arbres-talus.
  • Le bocage fait tampon contre les inondations : il retient l’eau par infiltration, réduisant jusqu’à 34 % le ruissellement sur les parcelles bocagères par rapport aux terres nues (rapport IRSTEA 2017).
  • Les arbres, arbustes et talus stockent du carbone : localement, le bocage du centre Bretagne capte 1,5 à 2 tonnes de carbone/ha/an (source : CNPF Bretagne).

Ce réseau dense protège aussi des espèces menacées nationales : son hérisson d’Europe, ses campagnols amphibiens ou la salamandre tachetée. Le bocage, c’est tout un linéaire d’habitations, de garde-manger et de passages secrets pour cette faune discrète.

L’agriculture du bocage : entre héritage et transitions

Le bocage façonne le mode d’exploitation du sol. Ici, l’agriculture s’est adaptée à la petite taille des parcelles et à la diversité des talus.

  • Historiquement, chaque ferme était cernée de 10 à 20 hectares divisés en parcelles cernées de talus hauts de 1 à 2 mètres – aménagés pour freiner le bétail et fournir bois mort.
  • La polyculture élevage domine encore la région (46 % des exploitations ; Agreste 2020), souvent valorisée sur de petites unités familiales.
  • Ce bocage est reconnu pour préserver la fertilité des sols : il limite l’érosion, favorise la vie microbienne, maintient l’humidité même en périodes de sécheresse plus fréquentes ces dernières années.

Pourtant, depuis 1950, l’oubli, la mécanisation et l’agro-industrie ont conduit à l’arasement d’environ 35 % des haies en Bretagne selon le Conseil Régional (2016) : ouverture des champs pour les tracteurs plus larges, production intensive, recherches de rendements.

Mais la dynamique s’inverse. Depuis 2008, l’opération Breizh Bocage a permis de replanter ou de restaurer plus de 4 500 km de haies en Bretagne, dont plusieurs centaines dans le pays de Gourin-Le Faouët, grâce à l’engagement des collectivités, associations et agriculteurs pionniers (gourin.fr).

Fragilités et défis : le bocage en vigilance

Si le bocage breton inspire encore, il reste fragile. Son avenir dépend de nombreux défis :

  • L’arasement des haies pour des raisons économiques reste un risque. Si on continue à supprimer les talus au même rythme, une rupture nette menacera la biodiversité et la lutte contre l’érosion.
  • L’abandon de l’entretien : sans gestion douce, une haie peut se transformer en ligne de ronciers impénétrables, perdant sa fonction écologique et paysagère.
  • Pression immobilière : l’expansion urbaine tend à ronger certaines parties du bocage, notamment autour des bourgs attractifs.

Pourtant, de nombreux collectifs locaux se mobilisent pour préserver ce patrimoine. Des associations comme Bocage Paysan du Roi Morvan accompagnent agriculteurs et citoyens à replanter des haies diversifiées, parfois avec des essences anciennes (chêne, troène, noisetier) qui favorisent la biodiversité et la résilience.

Des paysages à (re)découvrir : balades, savoir-faire et initiatives locales

Pour qui veut approcher de près la beauté du bocage en Pays Roi Morvan, plusieurs portes d’entrée s’ouvrent.

  • Sentiers et chemins creux : du circuit des chapelles à Gourin (13 km, panneaux pédagogiques sur les haies) aux sentiers du bassin du Scorff, la randonnée devient un bain de nature et d’histoire. Les chemins creux, ombragés, racontent l’usure des siècles.
  • Talus remarquables : certains talus, vieux de plusieurs siècles, recèlent des trognes – arbres taillés pour multiplier les branches, modifiés génération après génération par les paysans du cru.
  • Ateliers participatifs : plantation collective de haies, « fauche à l’ancienne », démonstrations de plessage (tressage du bois vivant), journées d’observation de la faune bocagère organisées par les naturalistes locaux.

Le bocage n’est pas figé : il inspire fortement la transition agroécologique portée par les nouveaux installés du coin (maraîchage bio, accueil d’animaux, restauration de chemins oubliés). C’est, au XXI siècle, tout autant un héritage qu’un défi vivant à relever collectivement.

Vers quel futur pour le bocage du Roi Morvan ?

Le bocage du Pays Roi Morvan, ce sont bien plus que des lignes vertes sur une carte. C’est une histoire collective, un système adaptatif millénaire, un amortisseur de chocs climatiques et un formidable vivier de vie. Face aux changements du siècle, il se réinvente chaque jour grâce à l’engagement de celles et ceux qui le vivent, le soignent ou simplement l’arpentent avec curiosité.

Pour en prendre la pleine mesure, il suffit d’emprunter un sentier creux à la tombée du jour : la lumière danse sur l’écorce, la haie bruisse de vie invisible, et le paysage du Roi Morvan continue, humblement, de s’écrire.

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