Un patrimoine façonné par la nécessité

Au cœur du quotidien d’autrefois, les fours à pain et les fontaines n’étaient pas des objets de folklore. Ils répondaient à des besoins primordiaux : se nourrir, avoir accès à l’eau, rassembler. Selon l’INSEE et les archives du patrimoine rural breton (Inventaire du patrimoine de Bretagne), près de 2000 fours à pain ont été recensés dans le Morbihan à la fin du XIX siècle, dont une forte densité dans le centre Bretagne, du côté de Berné, Gourin ou Lignol.

  • Le four à pain : pièce maîtresse du quotidien, il rythmait les fournées du village une à deux fois par semaine, fédérant plusieurs familles autour du travail de la pâte, du feu et du partage du pain.
  • La fontaine : unique point d’eau parfois sur des kilomètres, elle garantissait la survie des habitants et du bétail, en plus de jouer un rôle rituel (bénédictions, ablutions, processions locales).

Des liens sociaux et rituels, bien avant l’individuel

Ici, on ne partageait pas que l’eau ou la chaleur du four. On partageait les histoires, les rumeurs, les savoir-faire : ces édifices étaient des scènes à ciel ouvert. Encore aujourd’hui, à Saint-Tugdual ou Ploërdut, certains fours réhabilités servent de prétexte à des fêtes de quartier où l’on cuit le pain d’un jour, la pizza, ou la pompe à l’ancienne.

  • En 1900, sur la commune de Priziac, on dénombre une trentaine de fours collectifs pour moins de 1800 habitants (Archives communales).
  • Les fontaines, souvent associées à des lavoirs, deviennent le théâtre du travail féminin, de la transmission orale et de la sociabilité paysanne. Leur présence façonne encore aujourd’hui la mémoire commune et l’organisation spatiale des villages.

L’évolution des usages : entre oubli et redécouverte

À partir des années 1950, l’arrivée du pain industriel, l’équipement des maisons en eau courante et en électroménager bouleverse pratiquement l’usage de ces équipements collectifs. Beaucoup de fours à pain tombent en ruine, certains sont même démontés pour la récupération des pierres. Les fontaines, peu à peu délaissées au profit du robinet, se remplissent d’herbes ou d’ordures.

  • Dans les années 1970, le Parc naturel régional d’Armorique lance une première campagne de recensement et de sauvegarde des fours à pain et fontaines. À Lignol, une vingtaine de fontaines sont alors localisées, la moitié seront restaurées au fil des décennies suivantes (source : PNR Armorique).
  • Les communes ou associations locales sont aujourd’hui à la manœuvre pour leur remise en valeur, notamment à travers les Journées du Patrimoine ou des ateliers participatifs.

Architecture et symbolique locale : la signature du pays

Chaque four ou fontaine possède sa personnalité, selon la main du maçon, les ressources locales ou la tradition religieuse. On retrouve des fours à dôme de schiste ou de granit, couverts de lauzes ou parfois de tuiles plates, parfois ornés d’une croix. Les fontaines, fréquemment circulaires ou rectangulaires, peuvent présenter un fronton sculpté, un bassin, une voûte. Leur localisation – près d’une chapelle, aux croisements de chemins, dans le bas des villages là où sourd la source – n’a jamais rien d’anodin.

  • Plusieurs fontaines du Faouët sont inscrites à l’Inventaire des Monuments Historiques, comme celle de Sainte-Barbe, construite au XVI siècle, qui sert aujourd’hui encore de lieu de pèlerinage (source : Ministère de la Culture).
  • Au pays de Gourin, certains fours portaient le nom de la famille qui les entretenait ou d’un saint protecteur. L’usage voulait qu’ils soient allumés pour les grandes fêtes agricoles ou religieuses.

Sauvegarde, restauration, et initiatives locales

On assiste, depuis une vingtaine d’années, à une prise de conscience : la destruction de ces petits patrimoines, souvent invisible, fragilise le récit collectif. Associations, municipalités, particuliers redonnent vie à ces lieux.

  1. Restaurer sans dénaturer : Beaucoup de restaurations sont faites à l’ancienne, utilisant les matériaux d’origine. À Berné, l’association Patrimoine et Mémoire coordonne chaque année plusieurs chantiers autour des fours et fontaines du secteur.
  2. Transmission intergénérationnelle : Ateliers découverte, animations scolaires… À Ploërdut, les écoles emmènent régulièrement les élèves sur les “chemins de l’eau” pour sensibiliser à l’histoire des fontaines.
  3. Tourisme local et développement durable : Plusieurs circuits patrimoniaux valorisent ces petits patrimoines, dont le sentier des Fours à Pain de Melrand qui attire chaque été des centaines de visiteurs (source : Office du Tourisme Pays Roi Morvan).

Pour aller plus loin : Sommes-nous à la hauteur de ce qui nous a été légué ?

Aujourd’hui, alors que le besoin de racines, d’expériences partagées et de gestes simples revient en force, les fours à pain et les fontaines questionnent notre rapport à la ruralité et au collectif. Ils sont à la fois marqueurs de fragilité – ils disparaissent parfois dans l’indifférence – et moteurs d’une dynamique plus large : celle de la redécouverte de savoir-faire, du patrimoine rural, d’un vivre-ensemble concret.

  • Plus de 60% des fours à pain documentés en Morbihan en 1910 ont disparu, selon l’Inventaire du Ministère de la Culture (données 2022).
  • Les fontaines, souvent fragiles face à la pollution ou à l’abandon, sont aujourd’hui surveillées par des bénévoles (notamment via les réseaux d’eau potable rurale et les associations patrimoniales locales).

La sauvegarde n’est pas qu’un acte de conservation ; elle est le moyen d’ancrer une histoire dans des usages vivants. Les fours rallumés pour des fêtes villageoises, les fontaines honorées lors du pardon ou du Tro Breizh, sont autant de manières de prolonger ce fil invisible du quotidien qui relie le présent au passé. Si s’attarder devant un de ces édifices, le temps d'une balade ou d’un pique-nique, permet de (re)découvrir d’où vient notre pain, notre eau ou notre convivialité, alors la mission est accomplie.

Ressources pour les curieux et les passionnés

Et vous, four à pain ou fontaine : c’est lequel qui vous fascine le plus ? À chacun son histoire, à chacun sa source…

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